Georges MOUSTAKI, par Andrée SIMONS.
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Georges Moustaki
se nomme en réalité Joseph Mustacchi. C'est
pourquoi, quand on l'appelle Jo, il s'agit de Jo
avec un J et non de Geo avec un G, comme on
pourrait le croire.
Tout pourrait partir de cette substitution de lettres, de ce masque subtil glissé comme par hasard entre le monde " in " de l'affiche qu'on affiche et le monde " off " de l'arrière mur sur lequel elle est collée. Car s'il fait toujours les choses exprès, il trouve plus esthétique qu'elles aient lieu comme par hasard; de même, s'il est capable de tout oublier par paresse, il n'oubliera jamais rien par négligence. Jo n'aurait pas pu supporter très longtemps le fil à la patte du métier de chanteur. Georges par contre, plus épais, pouvait jouer les naïfs et porter sans rire ce costume un peu neuf qu'exigeait sa fonction. Georges n'aurait d'ailleurs qu'à se tenir tranquille au sommet de l'iceberg, tandis que Jo se réserverait la partie cachée où il pourrait flâner à l'aise au gré de sa fantaisie.
Tout spectacle est une cérémonie qui met en présence un artiste et un auditoire dont les rapports (de force, de séduction) sont régis selon un ordre de rites, connus et acceptés, qui relève à la fois du sacré et de l'érotisme. Les simples qualités du chanteur (bien chanter, bien se tenir, bien jouer de l'instrument dont il s'accompagne) ne suscitent ni l'un, ni l'autre. Rien de sacré dans la seule exécution parfaite d'un numéro, rien d'érotique dans son déroulement. Le rapport des deux parties est alors d'ordre strictement commercial. D'une part un contrat rempli et sa juste rémunération, d'autre part, le remboursement d'une dette (le prix de la place et le temps perdu) par un travail bien fait. La satisfaction ne naît plus du plaisir de succomber à une séduction mutuelle mais de l'assurance d'en avoir eu, d'en avoir fait pour son argent.
Ensuite, le rythme, la lenteur, les longs préparatifs silencieux, sans urgence, la voix grave, presque blanche par moments, tout cela rappelle étrangement les préliminaires amoureux qui accroissent le désir en retardant l'acte. Et l'acte ici est constamment remis à plus tard, mais à chaque instant chaque geste chaque intonation le laissent entendre. La force, c'est que précisément, il n'a pas lieu. Pas maintenant, pas tout de suite, une autre fois peut-être. Et l'envoûtement dure. Tu entres dans l'intimité de chacun, on a tous un secret avec toi. Et quand on te regarde un peu plus longtemps, on finit par se dire que, au spectacle comme dans la vie probablement, il se pourrait bien que tous les autres se trompent.
Andrée SIMONS
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