MILORD
Été
1958. Toujours en quête de chansons nouvelles, Édith
ne se contentait pas d'accueillir les paroliers et les compositeurs pour
prendre connaissance de leurs oeuvres ( car il n'était pas encore
question de " maquettes " à l'époque ; les auteurs
se déplaçaient chez les artistes pour leur soumettre leurs
créations).
Elle leur proposait aussi des pistes
de réflexion, des mots ou des images, quand ce n'étaient
pas de véritables trames qu'elle leur demandait de développer.
Cette collaboration étroite avait pour but d'élaborer des
chansons pleinement adaptées à son univers esthétique
et affectif, ainsi qu'aux possibilités spécifiques de sa
voix.
Édith ne concevait pas autrement la création,
chaque texte, chaque musique devant coïncider parfaitement avec sa
personnalité, son caractère et sa sensibilité. Grâce
à quoi, elle pouvait s'y investir cœur et âme.Portée
par une intuition sans faille, elle savait reconnaître les chansons
qui lui convenaient jusque dans les plus modestes brouillons. Et n'avait
pas son pareil pour diriger auteurs et compositeurs dans leur travail,
modifiant au besoin un mot, une phrase ou une note pour atteindre la perfection.
Sur ce point, l'élaboration de l'un de ses plus grands succès,
" Milord ", constitue un fort bel exemple.
Tout commença dans un modeste restaurant, de la façon la
plus décousue qui soit. Sensible à la personnalité
de Georges Moustaki, dont l'univers s'accommodait parfaitement
au sien, Édith lui suggéra un grand nombre
d'idées au fil desquelles s'imposèrent bientôt deux
personnages - un homme et une femme -, une situation - un rapport sentimental
un décor - la ville de Londres - et une ambiance- un dimanche d'automne
pluvieux. D'esquisses en ébauches, le mot " Milord
" surgit dans la conversation. Moustaki le nota sur
la nappe en papier qui recouvrait la table. Sans plus attendre, Édith
décréta :
" Voila le point de départ.
Tout doit tourner autour de ce mot. Toute la chanson est là".
Quelques jours plus tard, lors d'une tournée cannoise, Moustaki
retrouva inopinément le petit bout de nappe posé sur l'un
des meubles de sa chambre. Bonne occasion pour tenter d'écrire
le texte de la chanson. À sa grande stupéfaction, les mots
lui vinrent aisément, s'ordonnant sans mal, trouvant spontanément
leur rythme et leurs rimes. Tant et si bien que la chanson fut achevée
en quelques instants. Il se précipita alors pour la montrer à
Édith qui s'emballa aussitôt. Pour la musique, elle ne voyait
que Marguerite Monnot... qu'elle appela dans la foulée.
- " Tu vas recevoir une chanson formidable. Comme tu es en cure,
tu auras tout le temps de composer la musique. Fais vite... "
Marguerite
rejoignit Piaf et Moustaki peu après,
avec deux partitions dans ses bagages! Édith choisit
la première et l'interprète quelques minutes après
en avoir pris connaissance. Le résultat était on ne peut
plus convaincant. Moustaki
insista cependant pour entendre la seconde. Édith se soumit de
bonne grâce à sa demande et là, miracle, de superbe,
la chanson devint magnifique. Un chef-d'œuvre était né.
Extrait
du livre de Hugues VASSAL " Dans les pas de… Édith PIAF "
Éditions Les 3 orangers
- Paris - Juillet 2002 -
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