Questions à
la chanson
de Georges
MOUSTAKI, en collaboration avec
Mariella
RIGHINI
Collection " QUESTIONS
"
Stock
- 1973
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UNE RÉPONSE D'ABORD
Pourquoi n'ai-je pas refusé d'écrire ces " Questions
"?
Il y avait du contre. Ma paresse, que je cultive et pour laquelle j'invoque
la caution idéologique de Paul Lafargue (cf. le Droit à
la paresse).
Ma nonchalance chronique et inaliénable des méditerranéens
orientaux.
Mon " calendrier très chargé ", comme disent
les stars. (On a dû repousser deux ou trois fois la parution de
ces " Questions ", car on ne peut pas se concentrer sur l'autopsie
du " show-business " lorsqu'on change de lieu et d'hôtel
tous les jours.)
Il y avait aussi la complexité du sujet. A peine me suis-je livré
aux premières réflexions que je me sentis déjà
épuisé par les proportions qu'elles prenaient. Puis le
dépaysement au moment d'écrire en prose, qui me changeait
de la forme couplets-refrains par laquelle j'exprime généralement
mes idées.Enfin la timidité, l'orgueil...
Sur l'autre plateau de la balance, Jean- Claude Barreau, qui dirige
cette collection, une espèce d'hommes avec qui on a envie de
faire quelque chose. Un voyage en Libye, une randonnée en moto
à travers bois, une discussion politique ou religieuse, un repas
au couscous, une veillée guitare-feu de bois près de Vendôme
ou encore, pourquoi pas, cette petite étude sur le métier
des chansons.
Je ne me sens pas moins bien placé qu'un autre pour en parler.
Bien que j'ai toujours approché le monde du spectacle par les
chemins escarpés (Brassens dixit), j'ai fini par en faire partie
intégrante.
J'y suis et je m'y trouve bien. C'est à la fois mon plaisir et
mon identité sociale. Je suis dans le dictionnaire des artistes
de variétés et à l'occasion au hit-parade. Même
si je ne me sens pas identique à la plupart de mes " collègues
", je connais les différents niveaux de ce métier.
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Ma rencontre avec Mariella Righini a été catalysatrice.
Ses qualités de journaliste et de femme rendaient la collaboration
stimulante. Pour mes débuts d'écrivain, entre guillemets,
la solitude m'aurait stérilisé. Il faut ajouter que je
porte depuis l'enfance un goût prononcé pour " la
chose imprimée ".
Cela s'explique par le fait que j'ai passé dix-neuf ans de ma
vie dans une librairie. Sans me prendre pour un littérateur,
j'ai un plaisir un peu puéril de me trouver en bonne compagnie
dans cette collection.
Disons aussi que je me suis piqué au jeu. Je n'ai pas réellement
des comptes à régler. J'aime mon métier de compositeur-chanteur
et il me le rend bien. Et si je n'ai pas envie de cracher dans ma soupe,
je ne dédaigne pas à l'occasion de cracher sur certaines
pratiques des marchands de chansons qui pourraient aussi bien vendre
des savonnettes.
Ce métier s'appelle " variétés ". (Artiste
de variétés, spectacles de variétés, émissions
de variétés ... ) Variations à l'infini, incontrôlables.
Comment faire la synthèse? Il n'y a pas d'Homo Show-Business.
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Alors de qui parler? De moi, bien sûr. En allant du particulier
à un semblant de général. Partir de ma démarche
individuelle pour décrire une majorité chanteuse. Il sera
inévitable de généraliser ou de couper court. D'égratigner
au passage. Peut-être ferai-je des victimes innocentes, emporté
par l'élan.
Ma plume n'est pas empoisonnée, donc pas mortelle. Je ne pourrai
pas non plus tenir compte de toutes les exceptions. Mais ce qui m'a
déterminé, avant tout, c'est mon goût profond pour
les chansons. Depuis mon plus jeune âge et jus- qu'à présent.
Elles ont tenu et tiennent une grande place dans ma vie. Elles m'ont
plus apporté que n'importe quelle autre forme de culture dite
sérieuse.
Une chanson, c'est du théâtre, un film, un roman,
une idée, un slogan, un acte de foi, une danse, une fête,
un deuil, un chant d'amour, une arme de combat, une denrée périssable,
une compagnie, un moment de la vie. La vie.
Bien sûr, il y a les faiseurs, les escrocs, les marchands dont
je parlais. C'est un univers schizophrénique, une société
hiérarchisée, un système, un commerce, une porte
ouverte à tous les appétits, l'argent, la gloire, le désir
de communication, la poésie chantée.
C'est un cirque incroyablement divers. Une famille de frères
ennemis et de vraie fraternité. Un microcosme marginal et coté
en Bourse. Ce qui va suivre a été rédigé
par Mariella Righini. Elle s'est substituée à moi après
avoir digéré mes idées et mes contradictions. Mais
elle a apporté également les siennes (M.L.F. oblige) ainsi
que la documentation résultant des enquêtes qu'elle a menées
en journaliste consciencieuse. Je remets en question mon " image
de marque " d'humaniste tolérant et d'artiste rêveur.
Le show (spectacle) est une affaire trop sérieuse pour être
laissé aux seuls soins du business (affaires).
Georges MOUSTAKI
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