De ce côté-ci de la digue la mer gronde, les vagues rageuses hurlent. Les flots inventent des sonorités sourdes venues d’abysses froids et ténébreux. Le ressac frappe avec violence les rochers de myriades de larmes, de multiples tâches d’écume aux dessins fugaces et tourmentés. De ce côté-là de la môle, une légère brise titille la surface de l’eau. De petits rouleaux viennent flirter avec le rivage avant de s’éclipser dans la plus grande discrétion.
De ce coté-ci, l’espoir se brise perpétuellement en un fracas permanent. Combien de larmes pleurées, combien de larmes perdues, combien de rêves brisés ? Est-ce la fin très proche d’une vie, d’amours, d’éphémères et délicieux instants ?
De ce côté-là, les pas des amants d’un été perdurent dans le sable tiède de ce début novembre. La grève semble encore murmurer des mots doux. La berge reflète les émois de la saison estivale passée. Le temps s’écoule lentement et pour longtemps encore. L’éternité est à portée de main.
Collioure est un refuge pour moi naturel, un havre découvert dans l’enfance, un asile vers lequel je me précipite presque intuitivement, une retraite apaisante, un appui toujours stable, un recours systématique. Perché sur cette estacade, je précède mes amis, mon amour, mes comparses de cœur et d’émotions. Je suis droit, je ne résiste ni ne cède. Un pas de plus serait un pas de trop, un engagement inutile, une décision contestable…
Maïté et Pilar attirent mon attention. Avec elles, Pelai et Jocelyne nous nous réfugions derrière la petite chapelle juchée au départ de la levée juste en face le phare. Hier au soir, le ré de ma guitare s’est rompu. Pilar souligne toute la symbolique étymologique de cette corde défaillante. Maïté relativise et observe que cela ne gêna guère notre fête acoustique. J’adhère aux deux remarques car les deux avis me séduisent.
De ce coté-ci, je mesure tout ce que j’ai perdu, tout ce que j’aurais aimé, tout ce qui me fut et donné et repris. J’estime le prix de la douleur, le tribut des chagrins, le coût des souvenirs perdus. Je palpe mes blessures anciennes et récentes continuellement brulantes à la fleur de ma peau.
De ce côté-là, j’envisage ce qu’il me reste à découvrir, à vivre intensément, à inventer et à faire exister. Je partage des émotions en devenir, des plaisirs coupables, solitaires, excitants, des roueries et maladresses de gamin quinquagénaire.
De ce côté-ci, je souffre par procuration, j’anticipe la gêne d’un membre récemment meurtri, je devine les efforts maintenant nécessaires pour faire perdurer une passion indéfectible, je mesure ô combien les espoirs de chacun exigent de volonté de la part de l’artiste, j’envisage la fatigue résiduelle après la belle ouvrage.
De ce coté-là, les lumières soignées, l’acoustique remarquable, l’enthousiasme d’une salle particulièrement jeune et participante, la prestation d’une qualité émotionnelle parfaite jusque dans les hésitations, la subtile dédicace d’une chanson nouvelle, la réminiscence d’un Olympia 77, la durée même d’un concert qui s’acheva en apothéose, furent un embarquement pour Cythère.
« Carpe diem quam minimum credula postero »
André. |