En le nommant…
 

Marwan Hamadé.

 

Le ministre libanais des Déplacés, Marwan Hamadé, a appelé les 306 étudiants diplômés de l’Université Saint-Joseph à « ne pas rater leur révolution », la révolution permanente, dans une allusion à la célèbre chanson de Georges Moustaki, Sans la nommer.

Article paru le samedi 20 juillet 2002 dans le journal L'ORIENT DUJOUR.

   
 

Le ministre des Déplacés, Marwan Hamadé, a appelé hier les 306 étudiants diplômés de l'Université Saint-Joseph à " ne pas rater leur révolution ", la révolution permanente, dans une allusion à la célèbre chanson de Georges Moustaki, Sans la nommer.


Dans le cadre de la cérémonie de remise des diplômes de la faculté des lettres et des sciences humaines, de l'Institut des lettres orientales, de l'École libanaise de formation sociale, de l'Institut libanais d'éducateurs, de l'Institut de langues et de traduction, de l'Institut d'études scéniques, audiovisuelles et cinématographiques et de l'Institut supérieur de sciences religieuses, au campus des sciences et technologies de Mar Roukoz, et en présence du recteur de l'USJ, le père Sélim Abou, M. Hamadé a tenu un discours teinté d'antimilitarisme. En voici de larges extraits :


(...) La rafle du 7 août dernier visant à étouffer ou du moins à réduire les espoirs suscités par la vis ite historique du patriarche Sfeir dans la Montagne, les tergiversations et les volte-face du gouvernement et de la Chambre sur les dispositions du code de procédure pénale, tout comme l'arbitraire de certains jugements, la mise en échec du dialogue amorcé, la mascarade des élections du Metn donnent, un an plus tard, à votre promotion, des raisons supplémentaires de scepticisme et de frustration qui viennent sans nul doute s'ajouter à celles dont se plaignaient déjà vos aînés.


(...) Aux taux de croissance actuels, notre région, en effet, est appelée à 40 millions d'emplois durant la prochaine décennie. Rien, au vu des performances en cours, ne permet d'augurer un avenir aussi radieux. (...) Le Liban, qui avait, avant 1975, rattrapé le Portugal en termes de revenu national, se traîne désormais dans le peloton de queue des nations, cinquante places plus loin. D'où vient donc cette régression que la guerre seule ne saurait expliquer ? La mauvaise gestion administrative, l'aventurisme et l'improvisation politiques sont à inscrire au passif de nos bilans. Mais ce qui fait vraiment basculer nos sociétés dans l'indigence et le sous-développement, c'est bien l'obscurantisme politique et la dictature militaire qui prévalent indifféremment dans les Républiques et les monarchies de la région. Nous avons tous cru ou rêvé en un Liban d'exception dans ce Proche-Orient (...), un Liban qui aurait appris à vivre avec la diversité et, mieux encore, à la respecter, qui aurait adhéré à une éthique planétaire en terme de liberté et de justice.


(...) Aurions-nous été, le père Abou, vous et moi, trop naïfs de croire que l'on pourrait inculquer à notre environnement régional nos propres valeurs démocratiques plutôt que de subir sa contagion autocratique ? Peut-être. Mais le combat pour le Liban n'en est pas pour autant achevé. Nous pourrions dire comme De Gaulle que nous avons peut-être perdu une bataille mais certainement pas la guerre. Et même avec Churchill qu'en politique les plus âgés trahissent les idéaux pour lesquels ils luttaient quand ils étaient plus jeunes. Après le 11 septembre, et un peu à cause de cette date, le désenchantement est donc de mise, voire même de rigueur. Ici, à Beyrouth, comme à Jénine contre l'occupant. Comme à Gênes ou Vancouver contre la globalisation. Comme à Paris contre les racistes. Ici, au Liban, comme dans tous les pays dont les jeunesses ont rejeté l'autoritarisme et la dictature. Je pense à la Grèce et ses colonels, à l'Espagne et ses Franco, au Portugal et ses Salazar, au Brésil et sa police, à la Turquie et ses généraux. Je pense à nos capitales sœurs où toute une génération a été soit polluée par l'argent du pétrole soit assommée par le matraquage des Moukhabarats.


(...) Cessons de jouer les Cassandre : plutôt que de nous morfondre les uns et les autres dans les litanies pessimistes, au lieu de multiplier les mauvais présages et les chroniques sur la mort annoncée du Liban, réservons nos énergies à la création de scénarios favorables à l'avenir de notre pays.

Différents scénarios sont ici possibles : l'effondrement nous guette si nous optons pour le chaos, l'anarchie et l'injustice. Au contraire, la percée nous attend si nous transformons collectivement nos modes de pensée et nos comportements. Je crois que nous sommes, toutes générations confondues, d'accord sur le fait que bien des choses sont possibles, hormis le statu quo. Nous ne devons ni reculer, ni demeurer sur place. Devant les polarisations communautaires face à l'invasion rampante du système sécuritaire, eu égard la marginalisation croissante des classes défavorisées, l'heure du choix, et partant de l'action, a sonné. Rappelez-vous ce proverbe chinois qui nous met en garde : "Si nous ne changeons pas de direction, nous risquons d'arriver exactement où nous allons." Je sais que votre génération y est réfractaire, je sens qu'elle y est même hostile, qu'elle veut avancer, mais vers de nouveaux horizons.

(...) Enfonçons-nous dans notre sol plutôt que de larguer les amarres. Agrippons-nous à nos valeurs plutôt que d'en pleurer l'érosion. Évitons d'être comparés au dernier calife omeyyade d'Andalousie dont l'on disait "qu'il pleurait comme une femme un royaume qu'il aurait dû défendre comme un homme.


(...) C’est pourquoi je me permettrai de conclure mon propos sur une note musicale. Non point militaire, Dieu m’en garde, car l’on dit toujours que la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique – et vous voyez ce que je veux dire. Or je suis plutôt allergique à l’uniformité comme aux uniformes.

Les propos que je vous ai tenus ce soir, c'est un chanteur qui me les a inspirés.

Ce chanteur a aujourd'hui cinquante ans de plus que vous. On pourrait le qualifier de croulant. Et pourtant, plus que quiconque, il appartient à votre génération. Il appartient, en réalité, à toutes les générations qui n'en finissent pas de croire à la liberté, de vivre en elle et de se battre pour elle.

Je le verrais bien assis sur vos bancs, manifestant dans vos rangs. Je le verrais bien boute-en-train de la contestation plutôt que major de promotion. À ceux d'entre vous qui ne l'ont jamais ou peu entendu, je conseillerai d'exhumer le disque de Georges Moustaki qui contient la chanson Sans la nommer, sur "la Révolution permanente". Il chante, comme vous, cette révolution, celle que l'on matraque, que l'on poursuit, que l'on traque, que l'on épie. Cette révolution permanente, croyez-moi, est la vôtre.

Elle a été la nôtre, puis celle de vos parents, des décennies plus tôt ; elle sera celle de vos enfants et de vos petits-enfants, des décennies plus tard. Nous avons, chacun pour des motifs différents, tenté notre révolution. Et nous l'avons tous plus ou moins ratée. S'il m'est donc permis, dans un discours de fin d'année, d'ouvrir et de livrer le testament de vos anciens, je me permettrais un conseil, un seul ; ne ratez pas la vôtre."

Marouan Hamade

Ministre libanais des Déplacés

 
- <<<>>> -