Intermittere ...

( À Guillaume )

 

 

À foison, dans l’urgence, à grand renfort de décrets alarmistes, les capitaines, les notables, les maîtres du palais, clament avec force et ferveur leur incompréhension totale. Les gueux, les ménestrels, les troubadours sans grade ont rangé qui le luth, qui la vielle, le flaviol, la tenora, le tible ou le fiscorn. C’est le noir, la déprime pour les feux de la rampe. Un assourdissant et durable silence mure les décibels d’ordinaire si vifs et si endiablés. Le craquement timide des tréteaux esseulés est le seul fait du bon plaisir des chaudes nuits d’été. Nul acteur, nulle présence, n’animent de leurs pas les planches vermoulues.

Mais comment, ces manants qui à longueur d’année viennent prier l’obole, pleurer quelques largesses, vider les caisses du royaume, des comtés, des bourgades ; comment osent-ils donc ainsi vitupérer ?

Car enfin, c’est un fait établi, leur commerce n’est pour eux qu’un moyen dérisoire de masquer flemmardise, faiblesse, incongruité. Pour refaire le monde, pour flatter la révolte, pour vénérer Cythère, ils sont dans les premiers. Un travail, un labeur, modeste mais honorable de leur porte jamais ne franchira le seuil. Sous prétexte de vivre quelque passion intense mais obscure, jamais ils ne seront productifs et rangés. Et pourtant, large d’esprit nous sommes ! Les preuves sont nombreuses et le fait patenté. Nous tolérons le numide exotique, le sarrasin perfide, le grec si dépravé. Qu’ils soient sales, barbus et cheveux en broussailles, qu’ils soient étrangement vêtus, percés de tout côté, ne nous dérange point. Au dire de la garde, c’est même un avantage car ils s’en trouvent ainsi aisément repérés.

Toutefois, il suffit !

Du Rubicon de notre mansuétude ils ont allégrement dépassé les limites. Sans remord et sans retenue ils ont franchi le gué de notre bienveillance. Certains de notre droit, nous ne lâcherons rien ou peut-être quelques potions magiques de l’enchanteur Merlin que nous nommons aussi poudre perlimpinpin. Notre peuple saura nous soutenir et nous rendre raison. Du tavernier fébrile au brave bûcheron tous s’accordent à penser qu’il n’est que déraison de scier à l’envi la branche du grand chêne où l’on se trouve assis.

Déjà, le printemps nous fut rude par la contestation qui tendit à se développer. Les magisters crurent bon de nous interpeller. Toutefois, en experts que nous sommes nous pûmes habillement le calme ramener. Dos à dos, les gens et les valets clamèrent leur opprobre à l’endroit des nantis de l’école, enseignants des savoirs et maîtres à penser. Ils crurent agir de bien, secourir leurs enfants qui des diplômes rois pourraient être privés. En cela rien d’étrange car c’est le plan exact de ce qui fut prévu.

Qu’il est dur en ces jours, au royaume de France, de maintenir le calme et la quiétude. Pour les uns, bons profits, bonne panse, croissance et abondance et surtout, plus que tout, le sens du bien-fondé. Pour les autres, sérieux, travail, humilité. Que chacun à sa place ne puisse trop bouger. Pour cela, nous donnons quelques écus pour les faire rêver. Ils se nomment loto, académie des étoiles ou autres quolibets.

Mais pour longtemps encore les vaches dans le pré sauront-elles garder toute sérénité ?

L’autre jour, un fol, un enragé, sans encombre ni gène à moi s ’est adressé. Il avait le regard joyeux et pétillant, le sourire béat d’un pauvre demeuré. Il répétait sans trêve et bien étrangement un nombre inexplicable et sans vrai fondement : « 68, 68, 68…. » ???

André

 

PS : Ce texte initié par un 5 à 7 qui demeure suspendu à l’actualité, ne développe pas forcément des arguments revendiqués par son auteur….